Hiroshima 08.09
23 août 09 / "Tu n'a rien vu à Hiroshima"
Quand je commence à travailler sur un spectacle et qu’il s’appuie sur un texte, j’ai l’habitude de m’en éloigner dans un
premier temps en collectant des matériaux qui de près ou de loin concerne le projet. Après les 10 tomes de Gen d’Hiroshima, j’ai lu le livre construit à partir des photos d’Emmanuelle
Riva prises pendant le tournage d’Hiroshima mon amour. Outre les photos, le livre reprend les échanges de courrier entre Resnais et Duras, une interview de Riva, un commentaire du film et un
retour, cinquante ans plus tard, sur les lieux montrés par les photos. La fiction crée par le couple Resnais/Duras qui avait pour point de départ le réel se retrouvait par l’intermédiaire de ce
livre inscrit dans l’histoire. Le film qui relatait la Grande Histoire s’inscrivait maintenant non seulement dans l’histoire du cinéma mais aussi comme un témoignage sur la reconstruction
d’Hiroshima. Les enfants photographiés par Riva venaient faire échos aux personnages autobiographiques de Gen d’Hiroshima. Comme si finalement c’est l’approche documentaire de ces
documents qui me passionnait.
Enfin pas tout à fait car Duras réussit, comme tout grand artiste devrait savoir le faire, à problématiser le monde. Dans sa langue qui paraît si simple, elle le synthétise. Ce qui nous permet
de pouvoir l’entendre aujourd’hui. Ce n’est pas seulement une fable sur la bombe et ses conséquences mais deux êtres face à face avec le poids culturel que chacun véhicule.
Ce livre portait le titre que j’ai longtemps voulu donner à notre spectacle « Tu n’a rien vu à Hiroshima ». Regarder, voir, écouter l’autre, l’être que nous avons en face de nous.
Savons-nous vraiment le faire ? Connaître l’autre, sa moitié, sa famille n’est-il pas un leurre. Qui nous est le plus étranger, est-ce celui que nous croyons ?
Ça commence mal, il pleut. Même si jusqu’à présent, la moiteur ambiante pouvait faire croire à nos vêtements qu’il pleuvait toute la journée, la vraie pluie, on ne l’avait pas vu. Nous devions donc à vélo retrouver un guide qui nous conduirait sur les traces d’Emmanuelle Riva.
Mais sous la pluie, comment faire ?
Les japonais ont une technique ! Ils ont un accessoire qui sert à faire tenir le parapluie sur le vélo… il fallait y penser et songer à l’exporter pour les vélibs !
Toujours est-il, premier objectif de la matinée : petit déjeuner.
Trouver des aliments qui ressemblent à des viennoiseries ! Pas forcément évident mais nous avions trouvé une bonne boulangerie danoise ( ?) juste à côté de la Galerie G (Il faudra en dire plus sur la Galerie G mais pas maintenant). Yoko, notre troisième interprète, devait nous retrouver à cette pâtisserie. Je tiens à dire ici que je n’étais pas le seul à avoir besoin de sucreries. Laurent est le spécialiste des boulangeries. Il pourrait ouvrir un guide. C’est le premier lieu qu’il visite dans une ville.
Yoko, donc, que nous avions rencontré la veille dans un restaurant chinois (si, si, ce n’est pas une confusion. Je sais que la nourriture chinoise et japonaise sont différentes. Enfin, à ce moment-là je ne le savais pas encore vraiment.) juste en face de la Galerie G (encore !) qu’avait choisi madame Kimura (la directrice de la galerie G ( !!!)).
De gauche à droite: Ma pomme, Yoko, Madame Kimura, Chikako et Laurent. La photo est prise par Vanessa debout dans l'angle de ce "salon privé" de ce restaurant chinois dans
lequel nous avons mangé. Je ne pourrais vous donner la liste des mets qui sont sur la table car la carte était écrite en japonais et que de toutes façons, pour simplifier, elles avaient choisi
pour nous!
Cette journée n’aurait pas été possible si nous n’avions pas rencontré à un dîner, Marie-Christine de Navacelles. Nous avions été invité par Michèle Berrebi, la directrice du cinéma d’Uzes, à dîner avec les auteurs de ce livre « Tu n’as rien vu à Hiroshima » et particulièrement Emmanuelle Riva. Nous étions évidemment, Vanessa et moi, très impressionnés et très excités à l’idée de la rencontrer, de toucher notre source d’inspiration. A chaque fois que j’ai travaillé sur des textes mettant en jeu des vies réelles et que j’ai eu la chance de rencontrer ses protagonistes, ça a toujours été un moment important comme si par cette rencontre, notre travail prenait tout son sens.
Arrivé chez notre hôte, on nous prévenait qu’Emmanuelle Riva se reposait. Arrivée dans la journée, elle n’était pas dans son assiette. La rencontre s’annonçait mal. Nous avons alors discuté avec les auteurs présents, Dominique Noguez et Marie-Christine de Navacelles qui avaient porté le projet et incité Emmanuelle Riva à publier ces photos depuis longtemps oubliées dans le fond d’une malle. Plus la soirée avançait, plus nous comprenions qu’il faudrait accepter cette absence. HMA était une fiction aujourd’hui, nulle vérité ne viendrait d’une de ses protagonistes.
Loin d’être déçu par cette soirée, c’est le réel que j’ai rencontré là-bas. Marie-Christine de Navacelles, ancienne directrice d’instituts français dont ceux du Japon, m’ouvrit les portes de la création du livre sur HMA et du Japon d’aujourd’hui. Elle n’a cessé depuis de nous aider par ses contacts à préparer au mieux notre voyage au Japon. C’est grâce à elle que nous avons été en relation avec Yura Tomoshige, notre interprète en chef ( elle mérite à elle seule une chronique mais ce sera pour plus tard) et Madame Kimura ( la fameuse galerie G !).
Six mois plus tôt, Emmanuelle Riva et les auteurs du livre avaient été conduits sur les traces du tournage d’HMA. Madame Kimura
faisait partie du périple et a donc pu l'organiser de nouveau pour nous.
Donc, le livre à la main, nos deux caméras, les deux appareils photos de Vanessa,
nous pouvions nous lancer sur les pas d’Emmanuelle Riva. Nous prenions le taxi pour nous rendre à notre rendez-vous. Yoko était anxieuse car madame Kimura avait un empêchement et ne ferait pas
partie du voyage, or, Yoko ne savait rien du parcours. Je lui montrais une première photo d’un pont et elle demanda au chauffeur de taxi ou cela pouvait être. Celui-ci nous conduisit
avant de retrouver le fameux guide dans une maison de quartier.
Arrivé à notre point de rendez-vous, le guide nous attendait avec une amie de Kimura que nous avions rencontré deux jours plus tôt et Chikako, notre deuxième guide. Toute cette petite troupe se mit en marche rapidement sous une pluie timide après que le guide nous ait expliqué qu’ils avaient fait tout un travail avec les habitants du quartier pour retrouver les lieux photographiés par Emmanuelle Riva. C’était un quartier pauvre d’Hiroshima qui d’ailleurs allait être bientôt rasé pour construire une autoroute.
Le guide s’arrêtait consciencieusement et précisément à l’endroit d’où avaient été prises les photos et Vanessa, à son tour, comme un rituel, reprenait ce qu’Emmanuelle Riva avait fixé 51 ans avant elle.
Très vite, je laissais la caméra pour mon iphone et le zoom (enregistreur numérique de son que nous avait laissé Eric Guennou, l’ingénieur son du spectacle) et j’assistais à une magnifique mise en abyme de cette actrice, Vanessa, sur les traces d’une autre actrice, Emmanuelle Riva, qui errait dans la ville en attendant que le tournage commence.
Comment notre spectacle allait raconter ça ?
Comment le réel de l’actrice, un peu oublié dans le film par Resnais, pouvait être une clé de compréhension d’HMA ? Il veut nous faire croire qu’elle met son costume, seule, à son hôtel, pour le tournage. Costume qu’elle n’a plus quand on la retrouve sur le lieu du tournage. Evidemment, ce n’est pas important ; ce n’est pas la réalité du tournage qu’il cherche à raconter. Ce n’est pas ça qui en 1958 est important à raconter.
Monter Hiroshima mon amour en 2009 modifie forcément l’angle d’attaque. Ce qui était en 1959 n’est plus en 2009 et pourtant… Cette femme est une actrice. Elle n’est pas boulangère. Son métier, c’est de mentir, de rendre vraisemblable et non pas de témoigner. Et elle est là pour tourner un film qui témoigne des horreurs de la bombe ! Ensuite, je ne sais pas si on doit croire tout le reste de ce qu’elle dit. Est-elle amoureuse ? A-t-elle eu cette relation avec cet allemand ? Mais c’est contradictoire car, au début du film, ses premières paroles sur la bombe sont inaudibles (comment dire : « j’ai tout vu ») et pourtant ce devraient être les seules que l’on peut croire (c’est l’Histoire ; elle témoigne).
Emmanuelle Riva
ne s’est pas « un peu » promenée autour de son hôtel. Elle a traversé la ville dont des zones très peu habitées recherchant des traces, peut-être, de ce que devait être la ville avant
la bombe. Ces errances photographiques, dans tous les cas, me racontent HMA, notre HMA. Que pouvons-nous raconter d’Hiroshima ? Comment une actrice peut-elle se nourrir du réel pour
témoigner dans une fiction ? Comment faire comprendre la nécessité de se souvenir, de toujours inlassablement regarder l’autre sans le juger qu’il soit français, japonais ou
syrien ?
Julien
12 août 09 / Lettre à Ramzi
par Vanessa Liautey
" J'ai tout vu.Tout. "
(...) Ecoute-moi. Je sais encore. Ça recommencera. Deux cent mille morts. Quatre vingt mille blessés. En neuf secondes. Ces chiffres sont officiels. Ça recommencera.
Les photos que tu vois là ont été prises à Hiroshima 3 mois après la bombe. Il ne reste plus rien, les quelques murs qui tiennent encore debout étaient bien souvent des banques...
Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la fraîcheur de leur souffrances. Des pierres. Des pierres éclatées. Des pierres brûlées. Des chevelures anonymes que les femmes de Hiroshima retrouvaient toutes entières tombées le matin, au réveil.
(...) A ces occasions... de penser.
(...) De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je n'oublierai.
Yuko nous raconte que cet endroit est une ancienne usine qui fabriquait les vêtements pour les soldats.
Sa grand-mère y travaillait, elle y fut irradiée.
A très bientôt.
Vanessa
(texte de M.Duras)
par Laurent Rojol
Ce n'est bien sur pas le seul son intéressant ici, et les Japonais, la plupart du temps plutôt discret et silencieux, peuvent se révéler nettement plus bruyants, notamment lorsqu'ils ont quelque chose a vendre. Les zones commerciales sont donc une mine de sons plutôt intéressants. De petites mélodies électroniques gadgetisantes s'imposent en toutes occasions, dans une station de métro ou un shopping center, ajoutant encore à l'impression qu'on peut avoir parfois de se balader dans un magasin de jouets géant, que ce soit à cause des couleurs criardes qui s'entrechoquent où que l'on pose le regard, ou des tenues de Barbie extravertie qu'affectionnent les lolitas nippones.
A Hiroshima, dans les rues ou dans les magasins, quand un rabatteur ne hurle pas dans un cornet de plastique des slogans racoleurs, on évolue dans un univers feutré de musiques douces labellisées "ascenceur" qui laisse a penser que la vie est un long fleuve tranquille a 6 branches...
Et puis a Hiroshima, il y a bien sûr la cloche du parc de la paix, que l'on fait sonner comme au temple à l'aide d'un lourd "bélier" de bois, en mémoire des victimes. Les visiteurs ne manquent pas de s'y prêter avec plus ou moins d'obséquiosité, et nous l'avons fait ( et enregistré) avec le plus grand des respects.
Impossible de croire qu'une semaine s'est déjà écoulée, et pourtant nous venons bien de quitter Hiroshima, laissant plein d'émotion Yura sur le quai de la gare. Yura qui danse du hip-hop quand elle ne remplie pas son rôle de traductrice avec un zèle irréprochable et qu’on espère bien revoir un jour… sur scène !
A +++
Laurent
8 août 09 / Premières images
Nous avons été poursuivis par des cerfs affamés. Si, si, c'est vrai!